02 – PAYS-BAS – GOLDSMITH Saskia – La fabrique d’hormones
(chez GALLIMARD – 2015 – Traduit du néerlandais par Charles
FRANKEN)
Edition originale : « De Hormoonfabriek » en 2012 +
Début de
lecture :
Mokechaï De Paauw est vieux et grabataire. Il est soigné par
une dame (son épouse ?) qu’il n’aime pas, et une infirmière. Il ne peut
plus parler. Et puisque son esprit est encore bien présent il ne peut que
ressasser sa vie passée et nous la conter…
Mokechaï, Motke pour les intimes, a les dents longues. C’est
un battant, un « winner ». Convaincu qu’il faut écraser les autres
pour ne pas se faire écraser, il enchaine réussites commerciales et conquêtes
amoureuses. Pas comme son frère Aron, considéré comme mou, perpétuel
suiveur, beaucoup trop sensible pour le monde des affaires. Son père ne s’y est
pas trompé. Quand il décède, dans les années 1920, c’est bien Motke qui est
désigné comme successeur à la tête de l’entreprise familiale de découpe de
viande.
La seule chose qu’il pourrait reprocher à son père, c’est de
ne l’avoir pas autorisé à poursuivre des études… Mais le sens des affaires, ça,
il l’a…
L’entreprise familiale tire profit de presque toute partie
des animaux qui y entrent. La viande, bien entendu. Mais les bas-morceaux
partent en diverses charcuteries, le sang et la poudre d’os en engrais, les
huiles et graisses sont raffinées sur place, les poils servent à faire des
brosses. Il n’y a que les organes qui constituent des déchets qu’il faut se
résoudre à jeter.
Lorsque Motke apprend que des Canadiens ont mis en évidence
le rôle de l’insuline, il voit directement qu’il y a un coup fumant à réaliser.
Des pancréas, il en jette chaque année par tonnes. Il y voit désormais une mine
d’or… Son objectif sera de devenir le premier producteur à grande échelle
d’insuline. Pour cela il doit s’entourer de scientifiques. Le professeur Raphaël
Levine, allemand juif qui se sent à l’étroit dans son petit labo à Amsterdam
sera son partenaire.
La collaboration sera efficace et bientôt Farmacom, leur
société avancera à grands pas vers le premier succès commercial d’une longue
série : la production d’insuline, extraite finalement d’urine de jument.
Mais Motke se sent un peu frustré par le côté très directif du savant et décide
d’expérimenter lui-aussi les cachets d’insuline en proposant à de jeunes femmes
de son usine qui ne parviennent pas à enfanter à tester celles-ci. Son appétit
sexuel incontrôlé le pousse à exercer une forme de chantage sur ces femmes qui
sont priées de céder en échange à ses caprices intimes au risque de perdre leur
emploi…
Après l’insuline, c’est la testostérone qui est en voie de
fabrication dans le laboratoire du professeur Levine… Mais Motke est fatigué de
la lenteur à laquelle avancent les travaux de Levine. Il aimerait bousculer
cela, au risque de sauter quelques étapes de validation… Et si cette hormone
pouvait redonner le goût de vivre à Aron, son molasson de frère ? Il décide de
tester secrètement la chose…
Après lecture
Motke est un sale type. Roublard, infidèle, égoïste,
arrogant, immoral. Un de ces acteurs du monde économique qui ont tout pour me
déplaire, qui croient que le monde tourne autour d’eux et que l’argent est la
solution à tous leurs problèmes.
Pourtant ce livre m’a vraiment plu.
J’ai aimé suivre le cheminement de cet homme pour construire son empire, et
vivre de l’intérieur ces découvertes scientifiques. Si le personnage est
antipathique ce livre permet néanmoins de nous replonger dans les Pays-Bas des
années 20 à 60. Il permet une réflexion aussi sur la relation étrange entre sexualité
et pouvoir…
On sent aussi, sur la première moitié du livre, la terrible pression
qui monte sur cette communauté juive dans l’Europe des années 20 et 30, les
Pays-Bas étant un voisin direct de l’Allemagne dont ils suivent avec effroi la
montée en puissance d’un régime qu’ils redoutent à raison.
Ce roman serait basé sur une histoire vraie dont l’auteur a
retrouvé les traces dans un carnet d’archives familiales : l’origine de
l’entreprise devenue géant pharmaceutique Organon (producteur de pilules
contraceptives).
A part un court passage par Londres, le livre se déroule
principalement entre Amsterdam et une petite ville de province qui n’est jamais
nommée. A la fin du livre on apprend qu’il s’agit de la ville de OSS. Wikipedia
confirme que cette petite ville de l’est des Pays-Bas comptait des entreprise
de découpe de viande et qu’elle a été le berceau de la société internationale
Organon, fondée en 1923 par Saas van Zwanenberg. Saas serait-il donc
Motke ?
L’auteure
Saskia Goldschmidt est née à Amsterdam en 1954. Elle a travaillé
pendant trente ans dans le milieu du théâtre, où elle a été professeur,
producteur et coach. Elle a publié son premier livre en 2011 : Obliged to Be Happy, portrait of a family,
une recherche et une réflexion sur la judéité de sa famille.
(Merci Babelio !)
La fabrique d’hormones est le second de ses 5 livres, le
seul traduit actuellement en français.